Poème de Robert HAYDEN : La traversée

Robert hayden

Le témoin déclare en outre que la belle J.

Quitta la côte de Guinée

Avec une cargaison de cinq cents et quelques noirs

Pour les nègres de Floride :

 

« Qu’il y’avait à peine la place dans l’entrepont pour la moitié

du bétail en nage serré comme des harengs ;

que certains devinrent fous de soif et arrachèrent leur chair

et sucèrent le sang :

 

« Que l’équipage et le capitaine satisfirent leur convoitise avec les plus jolies

des filles sauvages gardées nues dans les cabines ;

qu’il y en avait une qu’ils nommèrent la Rose de Guinée

et qu’ils tirèrent au sort et se battirent pour coucher avec elle

 

« Que quand le maître d’équipage siffla tout le monde, les flammes

se répandant de tribord échappèrent déjà à tout

contrôle, les nègres criaient et leurs chaînes

étaient empêtrées dans les flammes :

 

« Que les noirs brûlants ne pouvaient être atteints,

que l’équipage abandonna le navire,

laissant leurs négresses hurlantes ;

que le capitaine périt saoul avec les jeunes femmes ;

 

« Le témoin n’ajoute pas autre chose »

Pilote O Pilote Moi

Navettes dans le métier oscillant de l’histoire,

les sombres vaisseaux avancent, les sombres vaisseaux avancent,

leurs brillants noms ironiques

comme la raillerie de la bonté dans la bouche d’un meurtrier ;

fendent le clapotis scintillant vers

le lumineux rivage qui disparaît de la fata morgana,

tissent vers les littoraux du Nouveau Monde qui sont

mirage et mythe et rivage véritable.

Voyage à travers la mort,

            voyage dont les cartes sont dressées par la haine.

 

Une puanteur charnelle, effluve de la mort vivante

se répand en dehors de la cale,

où les vivants et les morts, ceux qui expirent horriblement,

gisent emmêlés, gisent salis de sang et d’excrément.

 

            Tout au fond de la cale putrescente, gît ton père,

le cadavre de la pitié pourrit avec lui,

des rats mangent les yeux froids putréfiés de l’amour.

 

Mais oh les vivants vous regardent

avec des yeux humains dont la souffrance vous accuse,

 

dont la haine pénètre à travers la grasse obscurité

pour vous frapper comme la serre d’un lépreux.

 

Vous ne pouvez faire baisser ce regard de haine

Ni enchainer la crainte qui rôde les quarts

et souffle sur vous son haleine fétide et brûlante ;

ne pouvez tuer le profond immortel désir de l’homme,

 

la volonté impérissable…

 

Hayden

Robert HAYDEN

                                                                                  (traduit par Sim Copans)

                                                                                           La poésie négro-américaine, Seghers, Paris, 1966.

Date de dernière mise à jour : 30/04/2016

  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire

Anti-spam