Poème : La maison natale

Au bout du petit matin, une petite maison qui sent très mauvais dans une rue rès étroite, une maison minuscule qui abrite en ses entrailles de bois pourri des dizaines de rats et la turbulence de mes six frères et soeurs, une petite maison cruelle dont l'intransigeance affole nos fins de mois et mon père fantasque grignoté d'une seule misère, je n'ai jamais su laquelle, qu'une imprévisible sorcellerie assoupit en mélancolique tendresse ou exalte en hautes flammes de colère; et ma mère dont les jambes pour notre faim inlassable pédalent, pédalent de jour, de nuit, je suis même révéillé la nuit par la morsure âpre dans la chair molle d'une Singer que ma mère pédale, pédale pour notre faim et de jour et de nuit.

Aut bout du petit matin, au-delà de mon père, de ma mère, la case gerçant d'ampoules, comme un pêcher tourmenté de la cloque, et le toit aminci, rapiéci de morceaux de bidon de pétrole, et ça fait des marais de rouillure dans la pâte grise sordide empuantie de la paille, et quand le vent siffle, ces disparates font bizarre le bruit, comme un crépitement de friture d'abord, puis comme un tison que l'on plonge dans l'eau avec la fumée des brindilles qui s'envile... Et le lit de planches d'où s'est levée ma race, tout entière ma race de ce lit de planches, avec ses pattes de caisses de kérosine, comme s'il avait l'éléphantiasis le lit, et sa peau de cabri et ses feuilles de banane séchées, et sses haillons,

une nostalgie de matelas le lit de ma grand-mère.

Sans ticxxtre

Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal

Date de dernière mise à jour : 15/01/2017

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