Cameroun : crise dans les régions anglophones, un grand défi à relever avant le prochain scrutin présidentiel

Paul biya vote 472x263

C'est officiel, les électeurs camerounais seront appelés aux urnes le 7 octobre pour élire leur président pour les sept prochaines années lors d'un scrutin pour lequel les défis liés à son organisation s'annoncent importants, en raison de diverses crises sécuritaires que le pays traverse, la plus inquiétante étant la poursuite intense des violences dans les régions anglophones.

Selon un décret présidentiel publié lundi soir, "les électeurs [au Cameroun] sont convoqués le dimanche 07 octobre 2018 à l'effet d'élire leur président de la République", à l'occasion d'un vote prévu de 8H à 18H locale (7H à 17H GMT), durée légale prescrite par la loi électorale.

Très attendu, ce scrutin aura lieu sept ans après le précédent tenu le 9 octobre 2011, au terme duquel le chef de l'Etat sortant, Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, avait été réélu pour un sixième mandat consécutif par une large victoire de 77,9% des voix, contre 10,7% pour son principal adversaire, John Fru Ndi du Social Democratic Front (SDF), d'après les résultats officiels.

A 4,9 millions de votants déclarés sur une population estimée aujourd'hui à plus de 24 millions d'habitants au Cameroun, le taux de participation lors de cette élection avait été établi à 65,8%.

Pour cette année, les statistiques d'Elections Cameroon (ELECAM), l'organe en charge de l'organisation et de la gestion des élections dans le pays, sous la conduite d'une équipe dirigeante chapeautée par un conseil électoral présidé par un ex-gouverneur de région, Enow Abrams Egbe, annoncent 6,7 millions d'électeurs inscrits.

D'ordinaire, les inscriptions sur les listes électorales sont organisées chaque année du 1er janvier au 31 décembre. Mais aussitôt le corps électoral convoqué comme c'est le cas aujourd'hui du futur scrutin présidentiel, ces opérations s'arrêtent automatiquement.

Fixé au 7 octobre, ce rendez-vous électoral donne 90 jours à ELECAM pour préparer son déroulement, comme prescrit par la loi.

L'implication des services de l'Etat comme les ministères de l'Administration territoriale et de la Défense puis de la Délégation générale à la Sûreté nationale (DGSN) s'annonce plus évidente et cruciale du fait d'un climat sécuritaire tendu, surtout dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest où une menace de sécession a pris les allures d'une violente lutte armée contre le pouvoir de Yaoundé.

Depuis 2016, des groupes armés se réclamant d'un Etat virtuel au nom d'Ambazonie multiplient les attaques contre les forces de défense et de sécurité, les représentants de l'administration et même les populations locales et leurs guides, les chefs traditionnels.

Pour faire reculer la menace après avoir proposé une série de mesures d'apaisement, le gouvernement avait fait arrêter en janvier au Nigeria avant de les extrader à Yaoundé, où ils sont incarcérés dans les locaux du secrétariat d'Etat à la Défense chargé de la gendarmerie, Sisuku Ayuk Tabe, le président autoproclamé de cet Etat fantôme, et 46 autres leaders sécessionnistes.

Mais rien y fait, les tensions ne baissent toujours pas. Les victimes de ces violences sont nombreuses. Le 20 juin, le gouvernement avait annoncé un bilan de 84 morts parmi les forces de défense et de sécurité. Ce chiffre comme celui des civils estimés à plusieurs centaines n'a cessé d'augmenter.

Le Cameroun a aussi été le théâtre des attaques de la secte islamiste nigériane Boko Haram, depuis 2014 dans la région de l'Extrême-Nord. Avec les opérations des forces de défense et de sécurité combinées avec la coalition formée avec le Niger, le Nigeria et le Tchad sous l'égide de la Commission du Bassin du lac Tchad (CBLT), ces attaques ont très fortement diminué.

De la même manière, le renforcement du dispositif sécuritaire a permis de faire baisser les incursions de groupes rebelles centrafricains dans les régions de l'Est et de l'Adamaoua.

Dans ses vœux au peuple camerounais le 31 décembre 2017, le chef de l'Etat avait promis d'assurer la sécurisation des élections prévues cette année.

Le 25 mars, avaient eu lieu des élections sénatoriales, les deuxièmes de l'histoire du Cameroun après celles tenues en 2013. Eu égard à la crise dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, des bureaux de vote avaient été déplacés dans ces régions pour être installés dans des zones considérées comme sécurisées.

Il y avait néanmoins eu des circonscriptions où l'acharnement des groupes armés sécessionnistes avait donné du fil à retordre au dispositif sécuritaire mis en place. C'est le cas de Banguem par exemple, une localité du Sud-Ouest ayant vu un responsable de bureau de vote et quelques électeurs tués à la suite d'un raid mené par ces groupes criminels.

Pour le scrutin présidentiel prévu dans trois mois avec un corps électoral plus grand que les quelque 10.112 électeurs des élections sénatoriales, l'enjeu de la sécurité dans ces régions devient plus important.

En intensifiant les violences, les instigateurs de cette crise ont cherché à empêcher la tenue de cette élection, estime le géostratège Joseph Vincent Ntuda Ebodé. "Le vote doit être sécurisé, mais il est important de relever que les élections auront lieu là les populations sont massées dans les zones aussi bien rurales qu'urbaines."

"A partir de maintenant, l'Etat va commencer à monter en puissance pour sécuriser ces zones en crise", a estimé l'universitaire, spécialiste des questions de sécurité, interviewé par Xinhua lundi soir.

C'est une analyse proche de celle de Mathias Eric Owona Nguini, expert en sociopolitique, pour qui, même si "rien ne garantit qu'on arrivera à enrayer la lutte armée engagée par les groupes armés sécessionnistes qui prolifèrent dans les régions anglophones" avant la tenue du scrutin, "le gouvernement va agir pour limiter les zones et les capacités de nuisance de ces groupes".

"Cela est nécessaire, a-t-il estimé, pour le renforcement de la légitimité du système électoral en général et de la fonction présidentielle en particulier."

Au Cameroun, la Constitution ne permet pas le report de l'élection présidentielle, contrairement aux autres scrutins, comme les législatives qui devaient se tenir cette année aussi avec les municipales mais ont été repoussées en 2019.

  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire

Anti-spam