S.E.M. Boniface G. Chidyausiku : Leur pression a très peu d’effet sur nous car notre politique extérieure est véritablement indépendante. Nous nous sommes effectivement opposés à la résolution étasunienne à l’Assemblée générale de l’ONU qui visait le référendum de ralliement de la Crimée à la Russie. Au niveau de notre pays, nous reconnaissons que le ralliement de la Crimée à la Russie comme étant une décision souveraine des habitants de la Crimée. Car nous nous basons sur le principe du droit à l’autodétermination des peuples. Et le référendum de Crimée était en parfaite conformité avec ce droit. Quant à la visite de notre ministre en Russie de décembre dernier, lorsque un représentant d’un pays souverain rend visite à un autre pays souverain, il n’y aucune raison de ne pas visiter telle ou telle partie ou région du pays visitée. Donc aucune raison valable pour que notre ministre n’aie pas visité la Crimée. Et en ce qui concerne le Zimbabwe et comme déjà dis précédemment, nous reconnaissons le principe du droit d’autodétermination des peuples. Et cela a rejoint entièrement la volonté des Criméens qui ont exprimé leur volonté via le référendum de mars 2014. Nous avons donc soutenu ce principe et nous nous sommes opposés à la position ukraino-étasunienne à l’Assemblée générale de l’ONU.
LVdlR : Une question que j’aimerai également aborder avec vous M. l’Ambassadeur est celle du terrorisme. Nous sommes bien évidemment tous au courant de ce qui s’est passé tout récemment en France. Néanmoins ce que nous observons aujourd’hui est qu’il y a une attention énorme de certains médias sur cette attaque lorsque parallèlement nous assistons à un terrorisme pratiquement journalier à différents endroits du monde et qui ne mérite vraisemblablement pas une attention aussi ardue du mainstream médiatique occidental. Je pense évidemment à la Syrie, à l’Irak, au Nigeria, au Cameroun. Ces pays mènent quotidiennement une lutte sans relâche contre le terrorisme.D’ailleurs, plusieurs spécialistes pensent que les groupes terroristes opérant dans ces pays sont ouvertement manipulés de l’extérieur. Mais ma question à vous sera la suivante : quel est le meilleur moyen de combattre le terrorisme, aussi bien en Afrique que dans le reste du monde ? Comment s’opposer à toute forme d’extrémisme qui représente un vrai danger pour toute l’humanité ?
S.E.M. Boniface G. Chidyausiku : Je pense que le terrorisme est en effet un défi à toute l’humanité. Quant à la presse internationale, en premier lieu occidentale, elle donne effectivement beaucoup plus d’attention lorsque le terrorisme touche les pays dits développés, ceux d’Europe ou les Etats-Unis. Mais comme vous l’avez bien mentionné, un grand nombre de personnes sont mortes en Afrique suite aux massacres terroristes, que ce soit au Nigeria, au Kenya, en Somalie, ou encore en Egypte. Evidemment les médias occidentaux n’y attachent pas une attention aussi importante que ce que nous voyons par rapport à la France. D’ailleurs le terrorisme visant la Russie n’a lui aussi pas une attention adéquate de la part de ces médias alors que nous avons observé des attentats terribles visant la Russie.
Nous devons donc affronter ce défi terroriste ensemble. Et nous ne devons pas attacher une plus grande attention lorsque cela touche les uns, et une moins grande attention lorsque cela touche les autres. Lorsqu’on observe les organisations terroristes telles que l’Etat islamique, Al-Qaida et d’autres encore, on y trouve souvent une participation américaine. Les USA ont participé à la création de certaines de ces organisations terroristes. Les djinns sont sortis alors de leurs bouteilles. Nous ne devons donc pas adopter des mesures à court terme qui demain nous causeront encore plus grand nombre de problèmes. Nous devons affronter le problème terroriste de front. Avec humanisme. Et où que ce soit : au Royaume-Uni, en Russie, au Zimbabwe ou au Nigeria. Le terrorisme est le terrorisme. L’extrémisme basé sur une justification religieuse représente un grand danger et nous devons le condamner sans répit. Et cela ne doit aucunement servir d’excuse. Et nous devons également accepter nos différences, qu’elles soient religieuses ou culturelles. Nous pouvons tous coexister car faisons tous partie de ce monde. Nous pouvons avoir des interprétations différentes, notamment basées sur la religion, mais cela ne doit jamais nous empêcher de coopérer. Et nous devons tous lutter contre le fanatisme, quel qu’il soit.
LVdlR : Vous avez mentionné un point très important : la solidarité internationale dans la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme. Mais un certain groupe de pays tentent, hier comme aujourd’hui, d’utiliser l’excuse de la menace terroriste pour intervenir dans les affaires intérieures d’autres pays, le tout dans l’objectif d’atteindre des avancées dans leurs intérêts géopolitiques. Comment devons-nous lutter également contre cela ? La Russie, la Chine, les nations BRICS et votre pays également, sont fermement opposées à ce type de politique. Que devons-nous faire ?
S.E.M. Boniface G. Chidyausiku : Oui, c’est bien stupide de la part de certains Etats d’avoir des stratégies tellement à court terme, dont le seul but est l’élimination ou le changement de tel ou tel régime, dans tel ou tel pays, au point de créer des organisations terroristes pour atteindre ces objectifs malsains et effectuer les changements voulus. Nous avons tous vu ce qui s’est passé en Libye. Ils ont détruit un Etat qui fonctionnait bien, le tout au nom de la « démocratie ». Et aujourd’hui nous observons un Etat en échec évident. Mais ils sont toujours convaincus qu’ils savent quoi faire et mieux que quiconque. C’est un défi à nous tous. Et à ce titre, nous sommes très heureux de voir que les positions responsables de la Fédération de Russie, surtout depuis les dernières années, nous ont fait revenir à une situation de plusieurs centres de pouvoir dans le monde. Cela est bénéfique pour le monde entier. Ce qui a suivi les années 1990 et aussi le début du XXIème siècle, représentait tout simplement un monde unipolaire. Et lorsque nous nous trouvions dans l’unipolarité, certains se sont autoproclamés gendarmes du monde. Nous sommes heureux qu’aujourd’hui la Fédération de Russie, y compris au niveau du Conseil de sécurité de l’ONU, participe activement à la défense du droit international. C’est très important. Et lorsque nous voyons que certains pays au sein du Conseil de sécurité interprètent à leur guise le droit international selon leurs propres intérêts, cela est un vrai problème. Et c’est pourquoi nous sommes heureux d’avoir aujourd’hui un monde multipolaire devenu réalité et qui permet de rebalancer les forces et au final apporter une plus grande sécurité aux nations du monde entier.
LVdlR : Dernière question M. l’Ambassadeur. Vous avez bien mentionné la multipolarité du monde devenue désormais réalité. Mais il y a encore tellement de choses sur lesquelles il faut travailler. En tant que représentant de la République du Zimbabwe et de l’Afrique aussi, êtes-vous globalement optimiste et quels sont les domaines sur lesquels nous devons encore avancer ? Notamment dans le cadre de la volonté des BRICS d’interagir activement avec l’Afrique. Et comment pouvons-nous améliorer ensemble ce monde multipolaire ?
S.E.M. Boniface G. Chidyausiku : Il y a un certain nombre de choses à faire encore. La première serait à mon avis de réformer le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies. Il est grand temps que l’Afrique ait son siège au sein du Conseil de sécurité. On pourrait alors décider du pays africain qui prendrait cette place. L’ONU a été créée en 1945. Et il faut avoir à l’esprit que la situation d’antan et celle d’aujourd’hui sont bien différentes. Nous devons donc nous adapter à la nouvelle réalité.
Deuxièmement, il faut en effet avoir une interaction encore plus importante entre l’Afrique et les pays BRICS. Dans les domaines du commerce, de la finance, ainsi que dans le domaine de la coordination des positions sur l’arène internationale.
Troisièmement, nous devons mettre fin au monopole du dollar US. Nous devons avoir beaucoup plus de devises de référence et ne pas avoir à dépendre d’une seule. Car nous savons parfaitement que ladite devise est un instrument de politique extérieure et aussi de déstabilisation des économies d’un certain nombre de pays. La Russie et la Chine se sont déjà mis d’accord de passer aux paiements dans leurs devises nationales dans le domaine de leur commerce mutuel et de leurs projets communs. C’est la bonne voie. Nous devons trouver des alternatives à la domination du dollar US.
LVdlR : Merci beaucoup M. l’Ambassadeur ! C’est un plaisir de s’être entretenu avec vous.
S.E.M. Boniface G. Chidyausiku : Le plaisir est partagé.
Source...La voix de la Russie