Texte de MVENG Engelbert(1930-1995)

MvengAYONG vous présente un texte de l'historien Camerounais Mveng Engelbert (1930-1995), qui 
fut le premier jésuite camerounais protagoniste emblématique de la première génération de théologiens africains. Poète, philosophe, théologien de l’inculturation, anthropologue, peintre, écrivain, historien enseignant d’histoire à l’Université de Yaoundé de 1965 à 1995.


« Dans les pays du Tiers Monde et notamment en Afrique noire, la pauvreté affecte d’abord les institutions et les structures. C’est l’État africain qui, dès son accession à l’indépendance, se trouve privé des attributs de la vraie souveraineté. En devenant indépendants, les peuples africains ont été pris au dépourvu. Non seulement on n’a pas demandé leur avis sur le modèle d’État qu’ils voulaient se donner à eux-mêmes, mais encore leurs leaders politiques se sont battus plus pour le pouvoir que pour la libération de leur peuple. Ainsi l’État africain, dès sa naissance, est un instrument de domination, d’oppression, d’exploitation du peuple, qui est passé des mains du colonisateur aux mains des chefs politiques africains. Cet instrument est très efficace en tant qu’il est un appareil de paupérisation dont les mécanismes reposent sur deux principes.
Privation des instruments de souveraineté : Les nouveaux États n’ont pas d’argent, pas de système monétaire propre ; ils n’ont pas de pouvoir militaire digne de ce nom ; leurs armées sont formées et encadrées par des puissances étrangères ; leurs armements, souvent désuets, fournis et contrôlés par les mêmes puissances. Ils n’ont aucune souveraineté économique. La production et la commercialisation des matières premières, ainsi que leurs prix de misère, leur sont imposés par les maîtres de l’économie mondiale. Quant à l’industrie, c’est l’affaire des étrangers. Ces nouveaux États n’ont ni doctrine, ni idéologie politique. Des marchands d’un type nouveau, des marchands d’idéologies, leur en fournissent à des prix qui souvent, correspondent à un nouveau joug d’asservissement et d’exploitation imposé à leur peuple. Ainsi sont nés nos États, dans un état de dénuement politique, économique, militaire, financier et idéologique. Et pour subsister, ils sont obligés de mendier ailleurs leur subsistance, forgeant ainsi de nouvelles chaînes de dépendance souvent aussi lourdes, aussi meurtrières que les chaînes coloniales. Pour renforcer et perpétuer ces chaînes, les maîtres du jour ont inventé des mécanismes subtils et terriblement efficaces. Les premiers mécanismes sont de type moralisateur et philanthropique.

Après la charte de San Francisco (1945) d’une part et la fin de l’ère coloniale de l’autre, aucun peuple, aucun Etat ne veut apparaître sur la scène mondiale avec le masque du colonisateur ou de l’oppresseur. La pauvreté et la faiblesse sont des situations qui appellent la pitié, et la pitié est un sentiment noble dans toutes les civilisations et toutes les religions. Les dominateurs du monde vont donc se donner un nouveau masque: celui de la compassion. (…) La compassion, l’aide et l’assistance, sont désormais de nouveaux titres de noblesse qui légitiment l’emprise des grandes puissances sur les peuples pauvres. Mais ces masques en cachent un autre, nocturne, macabre et plus efficace: la corruption. Des États nés dans le dénuement sont donc livrés aux mains des « Commis mis comme des princes Venus nus de leurs provinces ! »1. Des chefs d’États, de hauts fonctionnaires et des hommes politiques, devenus mendiants, sont vite transformés en marionnettes ou en toupies entre les mains des manipulateurs qui font tourner le monde. Les richesses fabuleuses de certains chefs d’État africains sur lesquelles la presse mondiale ne cesse de gloser ne sont souvent que de lourdes chaînes d’or aux pieds et aux mains des pauvres otages qui se sont livrés eux-mêmes en livrant leurs peuples aux rapaces dévorant les entrailles du Tiers Monde. »

Mveng

Engelbert Mveng

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021

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Commentaires

  • Afap

    1 Afap Le 09/12/2014

    A la lecture de ce document j'ai encore plus de compassion pour certains de ceux qui nous dirigent car comme le dit Mr Mveng " les richesses qu'ils pilent sont des chaines d'or qui les lient d'abord eux-même..."

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