Adieu AMO

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La dépouille d'André Mba Obame, AMO pour ses partisans, est arrivée à Libreville (capitale du Gabon), ce mardi 28 avril aux environs de 13h, heure locale. L’ancien ministre de l'intérieur d'Omar Bongo, passé à l'Opposition en 2009, est décédé, à la suite d’une longue maladie, le 12 avril à Yaoundé au Cameroun. L'annonce de sa mort avait provoqué de vives manifestations hostiles au Pouvoir en place. Pour ses milliers de sympathisants et partisans, AMO était le véritable vainqueur de l’élection présidentielle de 2009.

Amo 1L’avion transportant la dépouille d’AMO s’est posé ce mardi, devant une foule immense, en extase, où l’émotion était à son comble.  

Le rapatriement de son corps était attendu depuis l'annonce de son décès.

La foule, composée d’hommes et de femmes de toutes générations, vêtus de T-shirts blancs à l'effigie de leur héros, était en larmes. Leur désespoir est à la dimension de l’espoir perdu. Jusqu’à la dernière minute, ses partisans croyaient au probable retour d'André Mba Obame dans la lutte pour l’alternance au pouvoir. Mais Dieu et les ancêtres en ont décidé autrement.

Un important dispositif de sécurité a été mis en place pour sécuriser le cortège qui a traversé une bonne partie de la ville de Libreville en direction du stade de Nzeng-Ayong, dans le sixième arrondissement. C’est là-bas que les Gabonais sont invités à venir rendre un dernier hommage à celui qui aurait pu devenir président de la République après l’élection présidentielle de 2016, s’il s’était rétabli.

La cérémonie se poursuivra dans la province du Woleu-Ntem, au nord du Gabon, avec un hommage qui sera rendu à AMO à Oyem dans la capitale provinciale, avant l'inhumation dans l'intimité familiale à Medouneu, sa ville natale.

Rappel biographique :

Etudes et Formation :

André Mba Obame est né le 15 juin 1957 à Médouneu, chef-lieu du département du Haut-Komo dans la province du Woleu Ntem, au nord du Gabon.

Il fait ses études secondaires chez les missionnaires catholiques, au petit séminaire Saint-Kizito d’Oyem, puis  au séminaire Saint-Jean à Libreville. En 1972, il s’inscrit au lycée national Léon Mba où il obtient le bac en 1975.

Bénéficiant d’une bourse, il part suivre ses études supérieures à l'Université Laval au Québec (Canada) de 1975 à 1980. Puis, au début des années 1980, il est étudiant à l'Université Panthéon-Sorbonne à Paris où il soutient en 1984 une thèse de doctorat en sciences politiques intitulée « Société politique au Gabon : contribution à l'étude de la nature patrimoniale du système politique gabonais ».

Une brillante et fulgurante carrière politique :

365fdad0 9bed 11de a910 1e96b3c2757fDurant ses études à la Sorbonne, André Mba Obame milite très activement au sein de l’opposition gabonaise à Paris, précisément dans le « Mouvement de redressement national » (MORENA), un parti politique créé au Gabon en 1981 et dont les principaux dirigeants ont été arrêtés et condamnés à de lourdes peines de prison pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Des Gabonais de France (André Mba Obame, Paul Mba Abessole, Adrien Nguemah Ondo, etc.) se mobilisent alors et créent le MORENA de Paris qui sera une antenne particulièrement efficace pour relayer les idées de l’opposition gabonaise. André Mba Obame devient Secrétaire général et porte-parole du MORENA de Paris. Désormais, il fait partie des « Gabonais qui comptent ». Comme pour d’autres opposants, le régime de Bongo mettra tout en œuvre pour le « récupérer » et le « copter ».

En 1984, il est reçu en audience le jour de son retour à Libreville par le président gabonais Omar Bongo qui décide de l’intégrer aussitôt dans son cabinet. A peine âgé de 27 ans, il va s’asseoir, découvrir les arcanes du pouvoir et apprendre le jeu politique aux côtés d’Omar Bongo en personne. D’après la légende, son retour au pays aurait été directement négocié par l’Elysée. Le président français, François Mitterrand aurait demandé à son homologue gabonais de laisser « entrer ce jeune opposant radical et lui faire une petite place au soleil ». Pour ses anciens compagnons de lutte restés à Paris, Mba Obame est un traitre qui a trahi la cause du peuple gabonais en pactisant avec le régime corrompu d’Omar Bongo. Le principal intéressé, quant à lui, se défend en évoquant la stratégie de l’entrisme comme moyen de lutte contre un Système oppressif. Effectivement, l’entrisme est une stratégie politique développée dans les années 1960-70 par des opposants gabonais qui, de retour dans leur pays, avaient finalement décidé de collaborer avec le régime en place, après l’avoir longuement critiqué lorsqu’ils étaient étudiants en France. Les « entristes » prétendaient alors pouvoir et vouloir changer les choses de l’intérieur. Malheureusement, l’histoire politique du Gabon nous enseigne que tous les « entristes » ont fini par prendre goût aux honneurs, aux privilèges, aux postes politiques ronflants, aux avantages matériels et financiers… Et ont oublié les idéaux pour lesquels ils avaient lutté. Certains d’entre eux se sont même mis à persécuter tous ceux qui ne suivaient pas leur exemple, c’est-à-dire tous ceux qui refusaient de chanter les louanges du Chef, du Grand camarade.

André Mba Obame va très vite gravir les échelons et devenir l’une des éminences grises du Palais présidentiel, un conseiller et stratège politique très écouté et particulièrement apprécié d’Omar Bongo. Certains vont même jusqu’à lui prêter un pouvoir de nuisance évident. Très vite, André Mba Obame se lie d’amitié avec Ali Ben Bongo, le fils du président gabonais. Ensemble, ils vont lancer un nouveau courant idéologique, les « Rénovateurs », au sein du Parti Démocratique Gabonais (PDG), le parti au pouvoir depuis 1968.

A la fin des années 1980, l’ancien opposant radical, devenu Conseiller du président Bongo, va modestement contribuer à négocier le retour des opposants gabonais vivant en exil.

Amo 0La conférence nationale de 1990 marque l’instauration officielle du multipartisme au Gabon avec, entre autres, la reconnaissance des partis politiques de l’opposition.

Dès 1990, André Mba Obame fait un bref séjour au gouvernement et occupe successivement les portefeuilles du ministère de l'Agriculture, celui des Droits de l'Homme et des Relations avec les Assemblées. En 1991, pour des raisons constitutionnelles et du fait de son « jeune » âge (34 ans), il quitte le gouvernement. En effet, selon la constitution gabonaise, il faut être âgé de 35 ans pour occuper des fonctions ministérielles. Il redevient Conseiller à la Présidence.

En 1996, il est élu député du premier siège du département du Haut-Komo. Et fait son grand retour au gouvernement en 1997, comme ministre des Relations avec les Institutions constitutionnelles, porte-parole du gouvernement.

En 1998, André Mba Obame lance TV+, une chaine de télévision qui va plus tard lui servir comme arme de propagande.

Après l’élection présidentielle de décembre 1998 et suite au remaniement ministériel, André Mba Obame devient en 1999 ministre de l’Éducation nationale, porte-parole du gouvernement jusqu’en janvier 2002, date à laquelle il est nommé ministre de la Solidarité nationale, des Affaires sociales et du Bien-être.

Après l'élection présidentielle de décembre 2005, il prend la tête du ministère de l’Intérieur, de la Sécurité et de l’Immigration. C’est un ministre qui brille particulièrement par son excès de zèle et s’illustre surtout dans les violations des Droits de l’Homme. En effet, André Mba Obame n’hésite pas à ordonner l’assaut du siège de l'Union du peuple gabonais (UPG), un parti de l’opposition dirigé par Pierre Mamboundou en mars 2006. Il ordonne également l’arrestation des leaders de la société civile en décembre 2008 et réprime assez violemment des manifestations syndicales. Plusieurs activistes et membres de la société civile sont interpellés (Grégory Ngbwa Mintsa, Marc Ona Essangui, Georges Mpaga). Le nom d’André Mba Obame est également cité dans la fameuse affaire de l’Île Mbanié (une île inhabitée, potentiellement riche en pétrole, revendiquée par la Guinée Equatoriale depuis 1972  et vendue par des hauts dignitaires gabonais en l’insu d’Omar Bongo).

Le 8 juin 2009, le président Omar Bongo meurt à Barcelone, après 42 ans de « règne sans partage ». La voie est désormais grandement ouverte pour tous les prétendants au trône. Dans son « fameux appel de Barcelone », Mba Obame affirme clairement son intention de briguer la présidence de la République gabonaise. Il s’oppose ainsi à son meilleur ami, son « frère », Ali Bongo, ministre de la Défense, qui entend lui aussi succéder à son père. Une guerre fratricide va s’engager entre les deux hommes.

Présidentielle 2009 : André Mba Obame devient AMO

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Dans le nouveau gouvernement, constitué après le décès d’Omar Bongo, Mba Obame occupe le poste de ministre de la Coordination et du Suivi de l'action gouvernementale (il est donc déchargé du ministère de l'Intérieur).

Ali Bongo est désigné candidat du Parti Démocratique Gabonais (PDG). Après avoir passé 25 ans aux côtés d’Omar Bongo, André Mba Obame estime, quant à lui, avoir la légitimité et être le mieux préparé à occuper les fonctions présidentielles.

Celui que ses partisans appellent affectueusement AMO mène une campagne exceptionnelle, « à l’américaine » comme on dit. Ses meetings à travers le Gabon sont retransmis en direct sur la chaine de télévision, TV+. Sa chaine de télévision est une arme redoutable de propagande. Charismatique et à l’aise sur les podiums, André Mba Obame utilise habilement tous les codes du marketing et de la communication politiques.  Au tour de son nom, il mobilise et fédère plusieurs centaines de milliers de Gabonais. Il réussit même l’exploit de faire oublier qu’il fut, 25 années durant, l’un des stratèges du régime Bongo. Il prétend pouvoir débarrasser le Gabon de la dictature des Bongo et se présente comme le libérateur. Comble de l’ironie, AMO se repent et demande pardon au peuple gabonais pour les exactions et pour tous les crimes perpétrés par le régime Bongo. Certains croient en sa sincérité, alors que d’autres y voient une énième entourloupe de ce stratège politique.  Ses partisans le surnomment même « Moïse ». Il parait que le peuple a la mémoire courte ! Les Gabonais l’ont parfaitement prouvé. Moïse, le libérateur du peuple hébreu, n’aurait-il pas grandi dans la cour de Pharaon ?

Selon les résultats officiels, André Mba Obame qui s’est présenté comme candidat indépendant, arrive second à l'élection présidentielle d’août 2009. Son « frère jumeau » Ali Bongo est finalement déclaré vainqueur de cette élection par des institutions qui sont toutes aux ordres du pouvoir en place. André Mba Obame et Pierre Mamboundou en contestent les résultats et revendiquent chacun la victoire.

Avec d’autres anciens barons du régime (Zacharie Myboto, Jean Eyeghe Ndong, Casimir Oyé Mba, Paulette Missambo, Pierre-Claver Zeng Ebome), Mba Obame fonde l’Union Nationale (UN) en avril 2010, un nouveau parti d’opposition né de la fusion de plusieurs mouvements politiques.

En décembre 2010, la chaine de télévision France 2 diffuse un documentaire sur la  Françafrique et ses réseaux politico-mafieux. Dans ce documentaire, certains intervenants évoquent clairement le bidonnage et le tripatouillage des résultats de l’élection présidentielle de 2009. Selon eux, André Mba Obame serait le véritable vainqueur de cette élection avec 42 % des voix contre 37 % pour Ali Bongo Ondimba. Les résultats auraient tout simplement été inversés, avec probablement la complicité de la France.

En janvier 2011, André Mba Obame (AMO) s’autoproclame Président de la République gabonaise, prête serment et forme un gouvernement parallèle. Cette initiative lui vaut d'être accusé de haute trahison par le gouvernement d’Ali Bongo. Le même jour, André Mba Obame et son gouvernement se réfugient dans les locaux du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) à Libreville et demandent la reconnaissance de leur légitimité par les Nations Unies et la communauté internationale. Aussitôt, le ministère de l'Intérieur d'Ali Bongo dissout l’Union Nationale (UN) et annonce le probable jugement d’AMO et la perte de son immunité parlementaire. Fin février 2011, les membres de l’UN sont finalement autorisés à sortir du PNUD.

La fin tragique d’un stratège politique

Andre mba obame retour libreville aout 2012Les problèmes de santé d’André Mba Obame commencent en 2011 lorsqu’on lui diagnostique, semble-t-il, une hernie discale postéro-latérale ayant entraîné une sciatique paralysante et hyperalgique. Il subit une première opération en Afrique du Sud où sa rééducation se révèle plus compliquée que prévu. Ensuite, il est victime d’un accident vasculaire cérébral qui va contribuer à dégrader davantage son état de santé. Durant les dernières années de sa vie, AMO séjourne dans plusieurs pays, à la recherche d’un traitement adéquat. En 2013, il quitte à nouveau le Gabon pour suivre des soins à l’étranger, Tunis, Niamey, et enfin Yaoundé où il est décédé le 12 avril 2015.

Corroborant les rumeurs qui circulaient à son sujet au Gabon, AMO lui-même parle, à propos de sa santé, de probables « attaques mystiques »que lui auraient lancées ses adversaires politiques.

Quel que soit ce qu’on peut penser de l’homme, de son parcours idéologique et de ses « acrobaties » politiques (tantôt opposant, tantôt fidèle et éminence grise du régime Bongo et à nouveau opposant), pendant près de 30 ans, André Mba Obame a joué un rôle majeur sur la scène politique gabonaise. C’est un homme au destin exceptionnel que les Gabonais pleurent depuis quelques jours. Jamais, de mémoire de Gabonais, on n’avait vu une telle foule accompagner un cortège. Ils étaient plusieurs dizaines de milliers de Gabonais, d’origines sociales et d’appartenances ethniques différentes pour l’accueillir et l’accompagner à sa dernière demeure. Contrairement à Moïse, AMO n’a pas réussi à libérer du joug de Pharaon le peuple qu’il prétendait défendre. Néanmoins, tout comme Moïse, AMO n’a pas vu la Terre promise ! Plus tard, sûrement dans quelques décennies, des historiens, des sociologues et des politologues de tous bords se pencheront sur ce cas d’école. Comment devient-on le « libérateur » d’un peuple qu’on a plus ou moins contribué à opprimer ?

Sans parti pris, il importait au site panafricain AYONG d’évoquer la disparition de l’une des figures politiques les plus marquantes de l’Histoire du Gabon.

 

Dr Ricky Nguema Eyi

 

Sociologue spécialiste des médias et des questions de discriminations

 

Références bibliographiques :

  • André Mba Obame, Réponse à une imposture, Paris, Les éditions du Jaguar,‎ 2005, 126 p.
  • Axel Éric Augé, Le recrutement des élites politiques en Afrique subsaharienne : une sociologie du pouvoir au Gabon, L'Harmattan, Paris, 2005.
  • Florence Bernault et Joseph Tonda (dir.), Fin de règne au Gabon, Karthala, Paris, 2009, 232 p. (no 115 de Politique africaine).
  • Khalid Tinasti, Le Gabon, entre démocratie et régime autoritaire, L'Harmattan, Paris, 2014, 308 p.
  • Lévi Martial Midepani, « Elites politiques et démocratisation au Gabon : contribution à une sociologie de la construction démocratique en Afrique noire », Thèse de doctorat de Sociologie, Université d’Amiens (France), 2005.

Date de dernière mise à jour : 12/04/2016

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Commentaires

  • Afap

    1 Afap Le 04/05/2015

    l'article sur la vie d'AMO est très bien écrit et vraiment bien résumé. j Merci Mr Nguema Eyi.
  • Afap

    2 Afap Le 04/05/2015

    Effectivement Moïse a grandi dans la cour de Pharaon...belle réflexion, à méditer !

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