L'EPOPEE PEULE DU MASSINA

L’Empire peul du Massina, appelé « Diina », est un empire théocratique fondé au xixe siècle par le marabout peul Sékou Amadou de clan Barry. Il s’étend sur une partie du Mali actuel, de Tombouctou au nord, au pays Mossi au sud, de la Mauritanie à l’est à la région de Mopti, avec Hamdallaye comme capitale.

Les peuls, venus du Fouta Toro, s’étaient installés dans la région vers la fin du xive siècle. Au début du xixe siècle, les « satigué,ardos », chefs de clan peuls, de clan Dicko, contrôlaient la région.

Au Mali, dans la Boucle du Niger où les crues annuelles du fleuve offrent des pâturages immenses, le pays était encore morcelé en grandes principautés dirigées par les Arôe, chefs traditionnels qui se trouvaient alors regroupés sous la responsabilité du Arďo du Mâssina et étaient vassaux de l'empire bambara de Ségou. A cette société pastorale, semi-nomade et dépendante du pouvoir bambara, succéda au XIXe siècle, l'empire du Mâssina dont l'artisan fut Sékou Amadou : rejetant le joug bambara, étendant les frontières de son gouvernement, contraignant les Peuls à la sédentarisation et à la loi islamique, il créa le puissant Etat de la Dîna où son œuvre de législateur, de politique, d'homme de culture et de religion fut remarquable.

L'épopée peule de cette région se ressent de cette évolution historique, partagée qu'elle est entre l'exaltation de la culture ancestrale incarnée par les Arôe et celle de ce passé récent marqué par la naissance d'un peuple peul unifié et, soutenu par un pouvoir central fortement structuré et par une organisation politique, sociale, économique, juridique et religieuse, stricte et cohérente.

Une partie de l'épopée peule du Mali est consacrée aux exploits de Sékou Amadou et aux luttes de ses descendants pour étendre, pacifier ou défendre l'empire ; nous avons ainsi toute une série de récits de batailles, d'entrevues entre chefs adversaires ou alliés, de négociations ou d'affrontements qui, pour être narrés sur le mode épique, avec le traditionnel accompagnement musical au luth, n'en ont pas moins des résonances de chronique historique où le réalisme prédomine et où les personnages assument d'eux-mêmes leur destin humain.

Déclamée par les griots qui s'accompagnent au luth, cette épopée se compose de gestes, suites d'épisodes bien circonscrits et tout entiers construits pour mettre en vedette un héros dont les actions ne font qu'illustrer le caractère nettement particularisé ; c'est que chacun de ces héros incarne de façon plus accentuée l'une ou l'autre des vertus cardinales qui constituent l'idéal du pulaaku : réserve, fierté, bravoure, maîtrise absolue de soi, sens aigu de la liberté.

L'importance accordée au personnage dans son individualité apparaît dans la prédominance donnée à sa devise — tant verbale que musicale — par rapport à la place réduite réservée à sa généalogie. L’épopée peule s'intéresse aux ascendants du personnage et ne remonte qu'à ses aïeuls ou bisaïeuls, laissant au héros le soin de se définir lui-même dans ses actes et ses attitudes. Toutefois, ces héros ne sont jamais véritablement des modèles à suivre, mais bien plutôt des symboles vivants dont seule compte la puissance d'évocation. Le substrat historique ne sert ici qu'à une représentation idéologique tout entière centrée sur un type de comportement éthique, social et surtout psychologique, qui est censé distinguer le Peul du non-Peul en tout temps et en tout lieu.

Cette épopée est marquée, par une forte intériorisation, toute la finalité de l'action épique se réduisant en fait à la signification d'un trait de caractère ou d'une attitude comportementale considérés comme constitutifs de l'identité peule.

Cette « intériorisation » s'explique par la situation même des Peuls : comme tout peuple nomade ayant connu isolement, dispersion, migrations, contact avec les populations les plus variées, ils ne pouvaient sauvegarder leur identité qu'au niveau le plus profond, c'est-à-dire au niveau d'une idéologie de la personne ; idéologie qui se traduit par un souci constant de se démarquer par rapport aux autres.

C'est aussi cette intériorisation qui rend l'épopée peule ésotérique au non-Peul, en faisant un genre littéraire à « usage interne » pourrions-nous dire ; les réactions des héros, profondément significatives pour l'auditeur peul, sont au contraire souvent déroutantes pour qui n'a pas pénétré la culture peule de l'intérieur. A cela s'ajoute cet autre trait commun à l'éthique et à l'esthétique peules, qui est la réserve, la pudeur et dont le reflet, dans l'œuvre littéraire, est une certaine austérité d'expression, une préférence nette pour le suggéré, le sous-entendu, l'implicite.

L'épopée est, chez les Peuls, l'apanage d'une catégorie particulière de griots, les maabuuôe, qui sont aussi des tisserands. Les Peuls qui, dans leur société nomade traditionnelle, n'ont pas d'artisans « castes », ont adopté, une fois sédentarisés, les classifications des populations qu'ils côtoyaient ; et tout en continuant de considérer les griots comme originellement non-Peuls, ils les reconnaissent comme les détenteurs attitrés de leur patrimoine épique qui, pour eux, représente au plus haut point, comme on l'a vu, l'expression de leur idéologie.

Le griot Tinguidji (Seydou 1972 : 12), évoquant son art, parle de cette puissance de la parole et de la musique par laquelle le griot peut « s'emparer » d'un homme, et il rappelle le cas de ces maîtres musiciens si experts qu'ils possèdent une maîtrise magique du luth au point de pouvoir ordonner à leur instrument de jouer tout seul. A ce renversement total d'attitude du barde qui, du joueur de mvett (épopée du peuple Ekang en Afrique centrale) soumis à son instrument, aboutit au griot des Peuls, maître absolu du sien, on mesure combien, d'une société à une autre, peut se nuancer la fonction des « énonciateurs » d'épopées, même si la vocation de celles- ci y demeure identique ; il n'en reste pas moins que barde médium, griot historien ou artiste consommé, chacun tient sa juste place dans le système de transmission des valeurs propres à sa société.

Par AYONG

Sources : www.persee.fr

Date de dernière mise à jour : 02/07/2021

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Commentaires

  • moussa

    1 moussa Le 23/05/2014

    Très interressant
  • obone

    2 obone Le 21/05/2014

    Je me rend compte chaque jour que je ne connais pas grand chose de mon continent. Merci pour le travail que vous faites.
  • Gbalou

    3 Gbalou Le 20/05/2014

    Mais, qui pour nous apprendre la culture africaine, car nos programmes scolaires et télévisuels datent de l'époque coloniale qu'on ne fait que réactualiser en fonction du maitre
  • isis

    4 isis Le 20/05/2014

    Bien vu vamez, mais on a tellement appris à l'Africain à apprendre et aimer la culture et l'histoire des autres au point de haïr la sienne, et c'est bien dommage
  • vamez

    5 vamez Le 20/05/2014

    C'est très intéressant de connaitre la culture africaine.
  • Moneekang

    6 Moneekang Le 19/05/2014

    Cette épopée a quelques similitudes avec la tradition Mvett

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